MR. RASHID ALI ABDALLAH

MR RASHID ALI ABDALLAH | DIRECTEUR GÉNÉRAL | COMMISSION AFRICAINE DE L’ENERGIE

 

Pouvez-vous partager avec nous les mesures prises pour atteindre les objectifs de transformation énergétique et progresser vers les engagements de l’Agenda 2063 ?

  • Le système énergétique de l’Afrique se caractérise, entre autres, par le fait que plus de la moitié de la population du continent n’a pas accès à une électricité fiable et plus de 70% des Africains n’ont actuellement pas accès à une source propre de cuisson, ce qui les expose à la pollution de l’air domestique et augmente la vulnérabilité aux maladies respiratoires. L’Afrique a donc besoin d’une attention particulière en matière de transformation, d’accès et de sécurité énergétique. Sur cette question, la Commission africaine de l’énergie (AFREC) dispose d’un mandat étendu pour développer le secteur énergétique africain en coordonnant, harmonisant, protégeant, conservant, développant et en promouvant l’exploitation raisonnée des ressources énergétiques en Afrique ainsi que leur commercialisation et leur intégration.
  • L’Agenda 2063 de l’Union africaine souligne la nécessité de renforcer les efforts régionaux et continentaux au service d’un développement accéléré et intégré des infrastructures en Afrique via l’élaboration de politiques et un engagement au sommet, la recherche de consensus et la promotion de l’intégration régionale au service du développement des ressources énergétiques en Afrique. Bien que les objectifs de l’Agenda 2063 soient plus pertinents, les réalités actuelles justifient une approche plus réactive du développement du secteur de l’énergie.
  • Ce faisant, les organes de décision de l’UA ont demandé à l’AFREC de travailler sur les points stratégiques suivants : (1) le Système Africain d’Information sur l’Energie, (2) le développement de la bioénergie, (3) l’efficacité énergétique et la transition énergétique, (4) le marché intérieur africain du pétrole et du gaz, (5) le développement des énergies renouvelables ; (6) le développement global des capacités et des compétences qui appuiera le développement du secteur énergétique africain.
  • L’AFREC a pris des mesures en mettant en œuvre divers projets visant à aider les États membres de l’UA à (1) améliorer leurs statistiques énergétiques nationales, (2) développer des compétences techniques dans les sous-secteurs de l’énergie, (3) disposer de mécanismes efficaces de suivi et d’information sur leurs ressources et leur consommation de bioénergie et prendre des mesures visant à améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’énergie afin de réaliser des économies significatives, (4) assurer la formation des fonctionnaires gouvernementaux à la collecte de données énergétiques, et (5) mener des enquêtes et des études de faisabilité sur la création d’un marché intérieur du pétrole, du gaz, et de la biomasse en Afrique.

 

Quels sont les principaux défis ou obstacles à l’harmonisation des politiques énergétiques sur le continent et quelles sont, à votre avis, les priorités actuelles ?

  • La situation énergétique varie d’un pays et d’une région à l’autre. La plupart des pays subsahariens dépendent encore fortement de la biomasse traditionnelle et peu efficace pour satisfaire les besoins intérieurs et ceux de certaines activités productives.
  • Un autre défi fréquemment rencontré concerne les inégalités en matière de production et de consommation d’énergie. L’Afrique ne représente que 2,9 % de la consommation mondiale d’énergie primaire. Sur le continent, deux pays (l’Algérie et l’Afrique du Sud) consomment à eux seuls plus de 63 % de l’énergie primaire du continent et quatre pays (avec l’Égypte et le Maroc) en consomment jusqu’à 88 %.
  • Le commerce de l’énergie en Afrique reste marginal, reflétant le faible taux d’intégration économique de l’Afrique et le faible volume des échanges de biens et de services entre les pays africains.
  • Les capacités institutionnelles et administratives demeurent limitées et sont un frein fondamental à l’action nécessaire dans tous les autres domaines.
  • De nombreux pays africains ont entrepris des réformes du secteur de l’électricité. Les modèles législatifs et institutionnels des marchés de l’électricité diffèrent d’une juridiction à l’autre tandis que le niveau de progrès et de développement des États est hétérogène.
  • Au niveau régional, la politique et le développement sectoriels sont définis par les Communautés économiques régionales (CER). Certains pays ont créé des agences spécialisées dans la réglementation des pools énergétiques et la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.
  • Chaque région dispose d’un « protocole sur l’énergie » qui oriente le développement du secteur au niveau régional et des États membres. La plupart des CER ont créé des pools énergétiques et des centres de promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.
  • La volonté politique de changement reste un défi majeur à tous les niveaux. Au niveau national, des insuffisances et des obstacles subsistent avec l’inadéquation des politiques, du droit, des structures institutionnelles et de gouvernance, des règles de passation des marchés et de règlement des litiges ainsi que le manque de transparence et la volonté de certains de nouer des partenariats énergétiques avec des pays hors zone (ce qui va à l’encontre de l’objectif d’intégration énergétique et de forum de partage des ressources proposé par la ZLECAf).
  • L’élaboration de règlements de deuxième niveau qui énoncent les règles du jeu reste un défi. Les règles techniques pour les systèmes d’électricité conventionnelle, les mini-réseaux et les systèmes hors réseau ne sont pas en place dans plusieurs juridictions.
  • Outre les obstacles liés aux ressources et aux capacités, la plupart des CER ne disposent pas des pouvoirs législatifs nécessaires pour faire appliquer les décisions. Cette situation est identique sur le plan continental car la Commission de l’Union africaine et d’autres organisations continentales ne disposent également pas du pouvoir législatif qui lierait les CER et les États membres. Des mécanismes sont nécessaires pour la mise en application, une coordination accrue et un dialogue à différents niveaux.
  • Il est essentiel que l’Afrique créé un environnement stable, transparent et prévisible pour attirer les investissements dans le secteur de l’énergie en Afrique et promouvoir le commerce transfrontalier de l’électricité afin de se réapproprier le cadre harmonisé développé par la Commission de l’Union africaine.

La question de l’équité de la transition énergétique et des solutions à la pauvreté énergétique d’un continent qui a besoin de se développer ont été largement débattues.

Quel est le point de vue de la Commission (sur la manière de mettre un terme à la précarité énergétique), son plan et sa vision sur cette question ?

  • La contribution de l’Afrique aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) est de loin la plus faible avec seulement 3 % des émissions mondiales.
  • Malgré sa faible contribution aux émissions de CO2, le changement climatique menace fortement le continent africain. En fait, le secteur primaire, comme l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’exploitation forestière, qui est essentiel à l’économie et à la sécurité alimentaire du continent, est fortement touché.
  • Par conséquent, il est vital que les pays africains poursuivent un programme de développement qui cible et exploite ses ressources de manière durable et ne se conforme pas à ce que les pays développés appellent la transition.
  • L’UA a adopté cette année, en juillet, la Position africaine commune sur l’accès à l’énergie et la transition énergétique équitable qui définit clairement la priorité de l’Afrique qui consiste à assurer l’accès à une énergie durable, abordable et efficace pour tous et la sécurité énergétique.
  • L’Afrique joue un rôle important sur le marché mondial du pétrole, détenant actuellement 7,2 % du total des réserves mondiales prouvées de pétrole. Nos données (AFREC 2021) montrent que le pétrole et le gaz naturel représentent plus de 40 % du mix énergétique de l’Afrique, derrière la bioénergie à 45 %.
  • La part de l’Afrique, dans la production mondiale de pétrole brut, s’élève à 10 %. Ce qui est terrible, c’est que plus de 70 % de notre production de pétrole brut et 45 % de notre production totale de gaz naturel sont exportés. Ces pratiques ont forcé le continent à dépendre des importations, restant le seul continent exportateur net de pétrole brut et importateur net de produits pétroliers. Cette tendance révèle le faible niveau de transformation nationale et, par conséquent, les occasions manquées d’ajouter de la valeur, de créer des emplois, de produire et échanger au niveau local.

 

  • Le programme de transition énergétique en Afrique définit clairement une feuille de route et une stratégie énergétique à l’échelle du continent, dans le but d’accélérer la transition des systèmes énergétiques sur le continent ainsi que la voie vers la décarbonisation, favoriser le bien-être économique, la création de richesses, l’éradication de la pauvreté et la réduction des inégalités afin de concrétiser l’aspiration au développement de l’Afrique d’une manière durable,  respectueuse du climat et tenant compte des besoins de l’Afrique.
  • Par conséquent, compte tenu de la transition énergétique de l’Afrique, le gaz naturel peut être exploité pour alimenter le continent à plus grande échelle tout en réduisant les émissions de CO2 et les effets du changement climatique. En outre, avec la ZLECAf, la croissance du commerce transnational et régional, des investissements, et du développement des infrastructures, peuvent améliorer le secteur énergétique à l’échelle du continent en réalignant ses priorités en matière de valeur ajoutée, de réappropriation des ressources et de développement.